Réflexions sur les rencontres avec les loups du secteur « Corvette »
J’ai reçu par courriel une série de questions concernant les loups et les rencontres faites lors du second projet de Peuple Loup. Comme je considère que cet aspect peut intéresser ceux qui suivent ce projet, je vais donc y répondre sur ce site.
Je ne sais pas si je me trompe mais j’ai l’impression que les avantages des liaisons plus fréquentes permises par ce matériel (ie : connexion satellite), finalement te cloue beaucoup plus sur place, que lors de ton voyage précédent. Mais une impression, bien sûr, n’est pas un fait.
Alors, je me disais ( peut être à tort) que le fait d’être obligé de composer avec des sponsors, des écoles, d’avoir le net, de surveiller sans cesse la batterie pour pouvoir surfer, d’aller souvent à Nouchimi, te faisait avoir moins de temps pour aller à la rencontre des loups.
J’ai eu également beaucoup de difficultés techniques la première fois, et des moments où je me suis tenu éloigné du terrain bien longtemps. La différence majeure est que je n’avais pas de connexion pour le faire savoir et cela s’est donc beaucoup moins vu sur internet. Je suis plus bavard.
Sinon, c’est un fait que la possibilité de se connecter plus souvent (et les problèmes de connexion) implique un changement de rythme. Je l’avais déjà souligné lors du premier projet : il y a deux rythmes très distincts.
- Les périodes où je n’ai aucun accès informatique et où je n’ai qu’à marcher, observer ou juste m’occuper du camp. La vie et les activités suivent les heures du soleil et j’ai bien plus d’opportunités de me « fondre » dans mon environnement immédiat.
- Les périodes « geek » où je rattrape le temps que je n’ai pas passé sur ordinateur. Ces périodes sont uniquement guidées par ma capacité à rester le plus possible devant un écran. Beaucoup de choses à faire. Pour le projet en lui même (articles, photos, etc…) et futiles également, car c’est un des aspects de ma personne : je suis geek. Par rapport au premier projet, il est certain que les futilités ont plus de place, car j’ai un accès plus régulier à l’ordinateur et que c’est une activité importante pour mon « équilibre », plus que dans le premier projet.
Le passage entre les deux états n’est pas évident à gérer et oui, je dois souvent passer par une période de réadaptation lorsque je dois repasser en mode bivouac. Cependant, je dois composer avec cela. Les rencontres avec les écoles sont fondamentales à mon sens, et les recherches de financement, nécessaires.
Au cours de ton premier voyage, tu avais pas mal de visites de la meute, je me souviens que tu n’étais pas loin de la décharge. Les circonstances sont différentes, j’en suis bien consciente.
Quand on lit peuple loup, on y voit une merveilleuse aventure dans la taiga, on y voit de magnifiques photos et on lit des billets intéressants. On lit également des articles sur la taiga,sur le lagopède, sur l’ours. Mais on ne voit pas vraiment le but premier qui était de rencontrer des loups, d’approcher leur tanière et de démontrer qu’ils n’étaient pas dangereux pour l homme. Et tu es déjà à la moitié du séjour.
Lors du premier voyage, je n’ai pas eu beaucoup de visites de la meute. J’ai croisé plusieurs individus ensemble seulement à deux reprises. C’est assez symptomatique de l’utilisation du territoire par la meute : les loups ne se tiennent pas tous ensemble tout le temps, le maraudage solitaire ou en duo est bien plus fréquent.
La présence du dépotoir proche est un élément clé de mes rencontres lupines lors du premier projet. C’est là que j’ai fait la majeure partie de celles-ci et c’était une zone de passage obligé. Je pense également que cette zone étant fortement fréquentée par les hommes, elle a du également favoriser les rencontres visuelles.
Dans le projet « Corvette », si l’on met de coté l’aspect « technique » et les contraintes logistiques, il y a plusieurs différences qui peuvent expliquer moins d’observations de loups.
- Pas de dépotoir proche.
- Moins de routes (la zone précédente était cerclée par différentes voies d’accès).
- Plus de territoire à couvrir. La zone d’observation est vaste, et je suis beaucoup plus en hors-piste que précédemment. Même si j’utilise beaucoup la route et les différents accès artificiels (pistes de motoneiges, lignes d’énergie), j’explore tout de même une zone beaucoup plus vaste et « sauvage ».
- Je me concentre moins sur « la piste de loups », mais plutôt sur une présence un peu partout sur la zone. C’est sur que si je passais toutes mes journées sur le bord de la route, j’aurais plus de rencontres. Mais l’intérêt de baser les déplacements et les vadrouilles sur une zone, plutôt que sur les loups est d’avoir un comportement plus « humain » et de disséminer mes indices de présence un peu partout sur leur territoire. En effet, il y a très peu d’endroits que j’ai visité où il n’y avait aucune indice de présence. Je suis donc présent un peu partout, et plusieurs fois, j’ai eu confirmation que cette présence a été repérée, notamment lorsqu’un loup choisit de son coté de visiter cette même zone : je ne me limite pas à suivre et attendre : j’ai une vie et je peux être à peu près partout, c’est ce que je veux que les loups intègrent.
- Je m’intéresse plus à l’environnement du loup. Oui, peut-être que ça n’intéresse pas grand monde de voir des images de lagopèdes, ou de découvrir le lac Corvette ou un site de forage. Cependant, cela fait partie intégrante du territoire du loup Et je considère que l’on ne peut correctement comprendre une espèce que si l’on connaît son environnement. Il ne faut pas oublier que le loup s’adapte à celui-ci et joue avec. Les liens directs ne sont pas nécessairement évident en première approche, mais ils existent.
- Il faut enfin relativiser : depuis le début du projet, il y a eu seulement 20 rencontres visuelles. 5 en 2008, 9 en 2009 et 6 en 2010, mais avec un contact proche avec les louveteaux, que je n’avais jamais observé lors du premier projet. Je n’ai pas vu la meute entière mais je connais bien la zone de la tanière maintenant (inconnue précédemment). C’est sans compter le grand nombre d’indices de présences « tout chauds », les hurlements proches, beaucoup plus nombreux, qui même si elles n’ont pas donnée de rencontres visuelles, m’assurent un contact proche (sensoriel).
Les loups sont moins présents près du camp de base, mais le dépotoir y était pour beaucoup. Et dernièrement, j’ai eu confirmation que mon camp ne passe pas inaperçu.
Cet épisode m’a donné également une autre information. Le loup marque son territoire, en urinant ou déféquant régulièrement. C’st particulièrement visible le long des routes et pistes humaines (voir les pistes de motoneiges fréquentées durant les deux hivers). selon Wolves de David Mech, ce comportement est absent lorsqu’un loup sort de son territoire. il se fait discret, possiblement.
Contrairement aux pistes de motoneige, aucun des trois loups venus visiter mon camp en suivant mon sentier n’a laissé de tels indices. J’ai bien cherché pourtant. Les traces d’urines et d’excrément ont repris dans la zone que j’ai pisté les deux jours suivants bien sur, mais jamais sur le bout de sentier, ni au croisement avec la route. Vu la fréquence habituelle de ces marques, je pense que ce n’est pas une information négligeable.
En ce qui concerne le fait de démontrer que le loup n’est pas dangereux : le fait de ne pas en voir ne va t’il pas dans ce sens ? Je passe tout de même beaucoup de temps sur le terrain, même si cela ne semble pas paraître. Il faut vraiment considérer ce projet sur le long terme : Ce sera lorsque le terrain sera terminé que des bilans pourront être faits et des conclusions tirées. C’est sur qu’en suivant le projet au fur et à mesure, vous n’avez pas l’impression que le loup est très présent dans les pages du site : A quoi vous attendiez vous ? Si vous connaissez ce prédateur, alors vous comprenez que la fréquence des rencontres est plus faible qu’ avec les écureuils !
Et au final, c’est ce fait même qui sera un des arguments phares de mes interventions futures. C’est ce qui s’est passé la dernière fois. Je n’avais pas tant que ça de rencontres visuelles, je n’ai jamais été proche de la tanière, jamais vu de louveteaux et je pense que malgré cela (ou grâce à cela), le comportement du loup vis à vis de l’homme est mis en avant.
L’observation de la tanière, du comportement des loups, je n’ai jamais garanti ce genre de résultat, et j’aurais été bien stupide de le faire… Cela se fera, ou pas, selon les opportunités, la chance et s’ils y consentent.
Quelles sont les différences que tu peux noter dans les rencontres de maintenant et celles du premier voyage ? Et quelles similitudes as-tu pu relever ?
Avant les différences, il y a au moins un point commun : la brièveté des rencontres avec les loups adultes. Parmi les animaux que j’ai pu observer, ce sont ceux qui ont gardés le plus de distance de sécurité et qui ont « cassé » le contact le plus vite.
Je confirme également la curiosité des loups et leur travail de suivi des pistes sur leur territoire. Leur travail de prédateur nécessite de se renseigner sur ce qui se passe chez eux et toute activité humaine implique une reconnaissance des lieux.
L’attitude également lors de ces rencontres. Le regard d’un loup n’est pas direct, il est fuyant. Les ours par exemple hésitent moins à regarder en face.
Sans pour autant s’enfuir à toute jambes, les loups rencontrés ne prennent pas la chance de s’approcher. Le cas des louveteaux est différent bien sur : les jeunes n’ont peur de rien, c’est bien connu 😉 A savoir si cette rencontre proche jouera sur leur comportement plus tard, rien n’est dit et j’espère en savoir plus cet été. Il faut prendre également en compte la dispersion, il est possible que certains de ces jeunes vont quitter le territoire assez vite. Mais je ne pense pas être capable de le déterminer.
Il faut tout de même mettre en avant un point qui me semble important. Connaître la meute, le nombre d’individus qui la composent et la limite de leur territoire est une chose extrêmement difficile et ce n’est pas gagné du tout que je puisse le savoir. En effet, pour connaître ces données, il faut pouvoir identifier chaque individu, associer les empreintes (très variable selon le support et la météo). Qui peut m’assurer qu’une empreinte appartient bien à un loup de la meute du coin, et non à celle de la meute d’à coté ?
Ce qui me permettrait d’en savoir plus, ce serait d’être toléré dans la zone proche de la tanière et de pouvoir observer la meute durant cette période. Ce n’est pas gagné.
Donc, pour revenir aux différences : lors du premier projet, j’avais eu l’opportunité d’observer plus souvent un loup : Jappeur. J’avais pu observer qu’au fil des mois, il m’était plus facile de l’observer et qu’il semblait s’intéresser à mes déplacements. Je n’ai pas crée de tel lien encore avec un individu. Les rencontres ont été plus éparses, en plusieurs endroits différents (même si toutes aux abords de la route).
Avis aux lecteurs
D’une manière générale, Il n’est pas évident de faire des articles sur le loup. De telles questions me permettent de m’y pencher et me donnent une base de travail pour aborder des sujets relatifs au prédateur. Je ne tiens pas à rédiger des articles généraux sur des comportements ou des actions que je n’aurais pas pu rencontrer. l’association Peuple Loup se base sur des expériences concrètes pour enrichir ce site. Le fait de poser des questions sur les vadrouilles, en rapport avec le loup ou son environnement, contribue à cet objectif.
Le problème principal du courrier électronique est qu’il est privé. Alors oui j’essaie de répondre à vos questions, mais des questions de ce type demandent pas mal de travail de rédaction et de réflexion, et cela pourrait/devrait être accessible publiquement. Si vous vous posez une question, c’est certain que d’autre se la posent aussi. Dans le principe du logiciel libre, le support ne se fait pas par courriel : il faut une trace, il faut que cet effort (les questions et les réponses) soit profitable à tous. C’est la raison pour laquelle j’ai répondu à celles-ci sur ce site.