Les comportements de marquage des loups

Les comportements de marquage des loups

Article écrit par Sophie Gonneau en 2004.

Tout au long de ses prospections Mickaël observe fréquemment que les loups, soit régulièrement, soit méthodiquement, en tout cas nous semble-il, de manière stratégique et informative, personnalisent leurs pistes en laissant de l’urine, des fèces, des grattements.

Traces d'urine sur une petite épinette.
Traces d’urine sur une petite épinette.

« Jappeur s’est contenté de suivre ma piste des jours précédents, ne s’en écartant que pour uriner sur des épinettes de petites tailles (jamais de taille supérieure à 50 cm) et déféquer au sommet d’une butte (…). Lorsque je les retrouve enfin (les empreintes de Jappeur), elles sont croisées par d’autres plus grosses qu’accompagne un marquage urinaire laissé sur des épinettes de plus grande taille (120 cm). (…) la piste de Jappeur est toujours régulièrement urinée, ainsi que la seconde piste, avec son odeur si caractéristique et méthodiquement renforcée tous les 20 mètres. A chacun de leurs croisements, je relève des marques d’urine distinctement mises en évidence » (Vendredi 27 février 2004)

Ce passage illustre très bien le comportement si caractéristique de marquage qu’effectuent les loups au cours de leurs déplacements ; Il nous permet en plus de mieux comprendre comment il se fait et pourquoi.

Mais tout d’abord qui marque et pourquoi…

Ceux qui souhaitent affirmer leur présence aux autres loups et se faire reconnaître en tant que « propriétaire » du lieu fréquenté : généralement les mâles dominants, ou prétendant à l’être ; mais l’activité de marquage est aussi réalisée par les femelles dominantes qui souhaitent indiquer leur réceptivité sexuelle. Les subordonnés ne se livrent jamais à de telles activités. Bien au contraire ils mettront tout en œuvre pour camoufler leurs odeurs ; quand ils le peuvent ils pratiquent leurs mictions accroupis dans l’eau (je l’ai personnellement observé). En effet imposer son odeur aux autres est un signe de supériorité, d’affirmation et d’appropriation…et jamais un individu subordonné ne se le permet. D’ailleurs toutes leurs attitudes seront en général soucieuses de ne pas répandre leurs odeurs (tant que le dominant ne le leur a pas demandé en venant les renifler) ; aussi tiendront-ils en présence des dominants, leur queue en position basse, et la garderont dans cette position lorsqu’ils l’agiteront à l’attention d’un dominant auquel ils veulent témoigner de leur soumission en même temps que s’attirer sa clémence.

Avec quoi marquer ?

  • Avec de l’urine « spéciale ». « Son odeur rance et forte me surprend tout autant que sa texture « gélatineuse » qui diffère de toutes les marques d’urine que j’ai pu voir jusqu’à maintenant » Cette remarque de Mickaël est très pertinente et démontre bien que le comportement de marquage à l’urine est bien différent de l’élimination physiologique des déchets de l’organisme. Il permet pour chaque animal de déposer des substances dont la composition est spécifique à chacun individu en même temps que soumis à des modifications saisonnières, chez les mâles comme chez les femelles, en relation avec les fluctuations hormonales.
  • Avec des fèces comme support. Lorsque le loup défèque il peut se servir de ses crottes comme support de ses substances odorantes fabriquées par les glandes anales. Ainsi les excréments peuvent servir aux loups pour marquer leur territoire. Dans ce cas ils sont laissés bien en évidence aux endroits stratégiques. Là aussi il semble que les mâles et les femelles se distinguent, puisque ces premiers (les individus de haut rang) auraient plus souvent recours à ce moyen de marquage. De même selon J. M Landry, les mâles alpha auraient plus tendance à imprégner de sécrétions anales leurs excréments que les individus bêta.
  • Avec une sécrétion glandulaire déposée seule. Mais les contenus des glandes anales n’ont pas forcément besoin de support pour jouer leur rôle de marqueur ; le loup en se frottant le derrière laissera sa trace odorante, plus ou moins visuelle selon le milieu dans lequel il a décidé de laisser son odeur…neige, prairie, sable. En grattant avec ses pattes, grâce aux glandes de leurs coussinets plantaires, le loup peut aussi d’une autre façon imprimer son odeur sans aucun support. Ceci pourra s’avérer utile lorsqu’il cache de la nourriture ; bien souvent ce marquage sera complété avec un jet d’urine. De même quand il satisfait un besoin physiologique, le loup peut accompagner cette miction naturelle d’un grattement avec ses pattes arrières afin d’en profiter aussi pour y mettre son odeur.

Où et Comment

Mickaël, de nombreuses fois, remarque que les loups qui marquent leurs pistes le font en s’en écartant, à intervalle sinon régulière tout au moins fréquente, et en des endroits précis et choisis. Des bosquets d’épinettes, des croisements des monticules….. « Bien que le passage choisi soit difficile, les loups l’ont franchi délibérément et à vive allure avant de se ménager une petite pause chacun d’eux perchés sur des monticules différents qu’ils ont personnalisés, l’un d’urine, l’autre d’excréments » (Samedi 13 Mars 2004).

Les comportements de marquage par miction urinaire des mâles et des femelles bien que différents dans leurs « objectifs » même s’ils sont « informatifs » se pratiquent de la manière assez semblable : patte levée, afin de diriger volontairement les jets à des endroits précis choisis. Ainsi une « touffe » d’épinettes seront des cibles de prédilection pour les mâles comme pour les femelles, chacun choisissant seulement une taille du bosquet qui lui convient !….Aussi Mickaël remarque t-il assez justement les deux hauteurs bien différentes des épinettes urinées en ce Vendredi 27 Février 2004. Mais surtout, et cela est très caractéristique des mâles compte tenu de leurs intentions de se signaler aux autres loups et/ou de les informer de leur possession des lieux, le marquage sera effectué en s’écartant de la trajectoire et très régulièrement. Jean-Marc Landry mentionne dans son ouvrage Le loup, qu’une étude faite sur une meute dans le Minnesota avait montré que les loups urinaient en moyenne tous les 274 mètres. Par ailleurs les fréquences de marquage urinaire seront plus élevées (deux fois plus) en frontière des territoires qu’en leur centre. Et Mickaël de constater : « Et les marques d’urine s’égrènent toujours aux rythmes des empreintes laissées le long de la piste des motoneiges que je suis jusqu’au lac » (Mercredi 10 mars 2004).

Crotte dans la neige, proche d'une carcasse
Crotte dans la neige, proche d’une carcasse

Une étude récente (2004) faite en Espagne met en évidence la relation qui existe entre la fréquence des dépôts de fèces et la fréquentation des axes marqués. Plus le passage est grand et emprunté par d’autres loups et plus les individus qui souhaitent s’affirmer laisseront des crottes bien en évidence, aux croisements et sur des monticules. On ne s’étonnera donc pas que Mickaël relève beaucoup d’empreintes le long des pistes de motoneige qui offrent aux loups des conditions faciles de déplacement ; ni que les croisements et passages très fréquentés soient aussi bien marqués… « Je peux distinguer au moins trois individus différents prospectant dans trois directions différentes ayant identifiés à chacun de leur croisement leur itinéraire individuel par des marques d’urines et même une petite crotte sans poil (pas encore gelée) » (Mercredi 28 Avril 2004)

Quand ?

Au moment de la reproduction. 

Bien évidemment ces types de marquage seront pratiqués de manière différente et appropriée en fonction des signaux informatifs détenus ; ainsi, si aucune différence n’a pu être remarquée dans le comportement de marquage anal des loups en captivité en revanche celui utilisant l’urine semble être fortement influencé par le cycle saisonnier ; ainsi dès le début de l’hiver et jusqu’au début du printemps, les mâles en rut s’adonnent de plus en plus à cette activité de marquage, l’enjeu étant de taille, puisque du territoire délimité et de ses capacités à le délimiter dépend sa capacité à accéder à la nourriture et donc à assurer la survie de la meute et le succès de la reproduction ; en effet c’est dans un premier temps essentiellement le mâle reproducteur qui est en charge d’alimenter sa femelle laquelle reste les trois premières semaines presque entièrement dans sa tanière (quelques sorties nocturnes seulement, selon une étude de L.D. Mech faite sur une meute de loups arctiques (Canis lupus arctos) dans l’île d’Ellesmere entre 1986 et 1998).

Quand à la femelle, son marquage urinaire sera surtout pratiqué au moment où elle devient réceptive au mâle. Dans ces cas les substances odorantes stimulent les mâles qui recouvrent alors l’urine de la femelle par la leur : il y a double marquage…preuves des contacts plus nombreux entre les deux partenaires et d’un accouplement qui s’annonce.

Au moment de la chasse.

Mais les marquages urinaires peuvent aussi être laissés sur des lieux de chasse où la curée a eu lieu et/ou la proie n’est pas entièrement consommée (la quantité de viande consommée par les loups dépend de la disponibilité des proies selon leur vulnérabilité ; ainsi si l’hiver est rigoureux et l’enneigement important, les proies affamées et handicapées dans leur fuite seront plus facilement capturées par les loups dont le taux de prédation en augmentant fera diminuer leur taux de consommation par proie capturée). Les endroits où les loups cachent de la nourriture (ce qui arrive fréquemment pendant les trois premières semaines qui suivent la naissance des petits) sont aussi urinés avant d’être quittés. Et Mickaël de le constater : « Plus loin passée la crête, encore des traces distinctes des prédateurs autour d’un gîte de lièvre qu’ils (les loups) auraient visité y apposant des marques d’urine à proximité » (Samedi 13 mars 2004)

Grattage au sol sur un lac, proche d'une carcasse.
Grattage au sol sur un lac, proche d’une carcasse.

A tout autre moment pour faire acte de territorialité.

  • Les loups utilisent le marquage à chaque fois qu’ils veulent établir ou réetablir la propriété du territoire. Ainsi Mickaël en fait il un jour les frais…. « Je constate en retournant sur les lieux de ma coupe de bois qu’un loup y a imprimé quelques marques d’urines ! » (Jeudi 1 Avril 2004)
  • Mardi 15 Juin 2004, Mickaël fait cette observation très intéressante : « Régulièrement la trajectoire suivie par les empreintes les plus grosses s’écarte de 20 mètres de la piste pour aller jusqu’à une marque d’urine laissée sur une épinette avant de rejoindre la seconde trace et de se perdre ensemble dans le bois…. ». Deux individus progressant ensemble et un seul qui marque : compte tenu de la période, après la mise bas si elle a eu lieu, une telle observation laisse penser que ce doit être le couple reproducteur (qui a ou non reproduit cette année, mais qui s’est tout au moins formé) et que l’individu qui marque est très certainement le mâle car les empreintes de celui qui urine régulièrement sont grosses et qu’à cette période le marquage ayant surtout une fonction de territorialité celle-ci est essentiellement assurée par les mâles.

Remarque : Il est bien probable que ce soit le couple reproducteur qui se déplace ainsi ensemble ; Des signes observés par Mickaël (cf l’établissement d’une meute) laissent en effet fortement présager qu’un couple s’est formé (aux vues des pistes doubles conjointes) et même qu’une reproduction pourrait avoir eu lieu puisque le Vendredi 6 août 2004, des hurlements plaintifs lui répondent : « Si mon premier appel au loup reçoit une réponse faible bien que proche, mon second déclenche deux hurlements distincts , bien que peu conformes à un hurlement standard comme on s’y attend, accompagné d’un troisième, guttural et structuré, qui se prolonge une vingtaine de secondes, sur fond des deux premiers comme ils le peuvent. Selon moi distant de trois kilomètres tout au plus, un adulte et deux louveteaux. Les hurlements s’étant tus j’attends quelques secondes avant de lancer une troisième vocalise qui trouve échos dans deux hurlements plaintifs et aigus ! Les louveteaux pendant quelques secondes m’ont répondu ! ».

Article écrit par Sophie Gonneau en 2004.