Ours noir
Sommaire
Les ours noirs ont une place particulière dans nos projets au Canada. J’en ai vu régulièrement en quatre ans et six été en Baie-James. Ils sont plus facile à observer que les loups (ils sont moins discrets, ont un plus petit territoire et une gourmandise plus forte que sa crainte parfois) et m’ont offert des rencontres mémorables !
Il n’y a pas de risque particulier à côtoyer des ours, en respectant des règles de savoir-vivre évidentes. Le problème majeur est que les ours ne refusent pas un festin et peuvent faire des dégâts dans les campements (les miens et même des bâtiments plus rigides). Pour ma part, avec une tente en toile, ce fût parfois assez problématique. L’ours craint l’homme, comme le loup et la plupart des animaux sauvages mais il est particulièrement gourmand et opportuniste ! Cela conduit presque à coup sur à des rencontres avec les ours de la zone du camp, intéressés par les odeurs de cuisine et par le stock de nourriture. Si les premiers faces à faces sont rapidement conclus (il suffit de lui crier dessus pour qu’il détale aussi vite qu’il le peut), l’ours est persévérant et s’adapte à nos réactions. Il prend confiance et il tentera un peu plus sa chance le coup d’après. Il convient donc de bien protéger ses biens et parfois « mettre les points sur les i ».
Baie James 2003-2005 – « Duncan »
Le premier projet qui a eu lieu dans le nord du Québec a permis de faire la connaissance de cette espèce impressionnante. Contrairement au loup, l’ours ne fait pas dans la discrétion et même si on ne le voit pas, on l’entend se déplacer dans la végétation, fourrager dans les bleuets et fracasser les branches mortes lorsqu’il prend peur !
L’ours est opportuniste et ne rechigne pas à aller fouiller les poubelles. La zone d’étude possède un dépotoir à ciel ouvert, ce qui est du coup un endroit particulièrement intéressant pour voir des ours. Il convient cependant dans ce type de rencontre de faire attention : Ces ours, même s’ils sont sauvages, ont moins la crainte de l’homme : ils fouillent dans leurs poubelles depuis longtemps et ont donc une distance de sécurité réduite lorsqu’ils nous croisent.
Baie James 2008-2010 – « Corvette »
2008 : Nesquik
Nous avons débuté ce projet fin juin 2008, Julie et moi. Après trois semaines sans problème, nous avons vu arriver un jeune ours (aidé d’un second occasionnellement), qui nous a pourri la vie jusqu’à ce que nous décidions de déménager. Avec le recul, je considère que deux grosses erreurs ont été commises. La première est la date d’installation. Fin juin, les ours sont déjà réveillés depuis longtemps et sont en recherche active de nourriture. Notre arrivée ne pouvait pas passer inaperçue et nous ne pouvions pas sécuriser notre stock de nourriture sans alerter tout le secteur.
La seconde erreur a été de penser que nous pouvions stocker 2 mois de nourriture dans le bois, sur le territoire des ours. Une fois notre camp repéré, l’ours s’est trouvé dans la caverne d’Ali Baba ! Il avait la possibilité de revenir tous les jours et d’avoir tous les jours un butin. Nos tentatives pour cacher la nourriture se sont soldées par des échecs cuisants.
Enterrer la nourriture ou la mettre dans un arbre n’a fait qu’illusion. Si l’ours sait qu’il y a à manger dans une zone, il ne lui suffit que de suivre nos pistes ou de renifler une zone restreinte pour trouver et attraper son butin. La grande quantité de nourriture sur place assure sa présence dans les lieux et il n’a qu’à la trouver.
Ce premier round a donc été brillamment gagné par Nesquik, qui nous a forcé à trouver un autre camp, éloigné de 50 km. On est reparti de 0 grâce à lui.
2009 : Ben
Le début de l’été 2009 a été calme et aucun ours ne s’est approché du campement. Depuis le mois d’avril, je respecte la règle fondamentale : pas de nourriture ni de cuisine dans le coin couchage. Le tipi situé à 200 m environ est là pour ça. Le stock de nourriture est enterré non loin de la cuisine et je sors au jour le jour la nourriture nécessaire. Il n’y a jamais plus que 2 semaines de stock.
Au final, il y a eu peu d’interactions. Un jeune ours a bien trouvé la zone à partir de fin juillet et a mis à terre plusieurs fois le coin couchage, sans faire de dégâts matériels volontaires. Ces mésaventures ont quand même occasionnées des dégâts (déchirement de la tente et perte d’un modem), puisque l’ours est un gros pataud et que l’électronique n’apprécie pas les intempéries !
Cependant, la solution d’enterrer la nourriture ne s’est pas avéré très efficace. L’ours arrive à repérer le stock et à le déterrer. Une autre conséquence de cette solution est une tendance à l’inondation du stock en cas de grosse pluie. En fin de saison, je laisse le stock de nourriture proche de la route et l’enferme dans une malle en acier.
Comme le veut la tradition, ce jeune ours a gagné son nom. Ce sera « Ben », en souvenir de la première « blague » qu’il a commise : il a sournoisement mangé une grosse ration de riz préparée la veille. C’était du « Uncle Ben’s »…
2010 : Ben
Ben est de retour après son hivernation de courte durée. En effet, l’hiver a été particulièrement doux et l’ours a repris ses activités en avance. Malheureusement, j’ai moi même tardé à faire mon ménage et du coup, Ben rode autour du camp depuis le mois de juin de cette année. Il a investi la place et est rentré dans le camp pendant mon absence, surement à cause de l’odeur de nourriture (et de produits de santé je pense). Il a trouvé suffisamment d’intérêt (quelques boites de beans oubliées) pour revenir très régulièrement fouiller ici.
Le stock de nourriture, il s’y est essayé mais n’a jamais réussi à l’obtenir : je l’ai enfermé dans une grosse malle lourde, loin du camp. Comme il n’est pas très gros, et que ce qu’il y a dedans n’est pas très odorant je pense (boites de conserve), il n’a jamais réussi à l’ouvrir (découragé après un temps, il a cessé de s’y approcher). Il s’est vengé sur mes bidons d’essence par contre.
Du coup, à partir du moment où il a trouvé des choses intéressantes au camp, il est revenu régulièrement, et j’ai pu faire des rencontres proches. Comme pour beaucoup d’ours, la distance de fuite s’est amenuisé de plus en plus (le bluff et le bruit ne marchent qu’un temps). Même s’il n’y avait plus de nourriture à trouver, il fallait qu’il aille renifler partout jusqu’à se sentir chez lui : « j’avance un peu plus chaque jour pour voir ce que tu en dis ». quand je m’absentais, il rentrait dans la tente et mettait tout en vrac.
Il aura fallu une discussion serrée le matin où il a décidé de tenter sa chance et revendiquer le camp. Le langage « non verbal » prend ici toute sa place et la négociation a tourné en ma faveur. J’étais le plus motivé (et le plus bruyant) !