Le hurlement des loups
Sommaire
Article écrit initialement par Sophie Gonneau en 2004
Les loups semblent présenter des périodes de sensibilité différente aux appels de Mickaël : Ainsi alors que la froideur climatique ne les laisse pas sans voix, la tiédeur de l’été au contraire aurait plutôt tendance à les rendre un tantinet impolis ! …
Même si les significations des hurlements ne sont pas encore toujours clairement élucidées, il est indéniable que ces derniers jouent des rôles importants dans la communication entre les loups, leur regroupement et, la cohésion et structuration du groupe, ainsi que dans la défense du territoire et de ses ressources.
Les résultats du suivi des hurlements de Mickaël fait entre le 29 janvier et 29 novembre 2004 rendent compte de l’utilisation différentielle de ce moyen de communication ; ils en illustrent donc clairement les différents rôles permettant ainsi une compréhension simple de leurs significations. Les tendances qu’ils mettent en évidence sont logiques et s’accordent avec les connaissances actuelles.
1. Les loups répondent plus aux appels de Mickaël en période hivernale qu’estivale.
Ceci est indéniablement en rapport avec les dispositions psychologiques, physiologiques et les situations sociales des loups à cette période : en effet, de Janvier et Mars c’est la période de la reproduction et les loups matures (moyenne d’âge 28 mois pour les femelles, 30 pour les mâles) tendent à disperser à la recherche de partenaires et territoires pour fonder leur propre meute. Durant cette période hivernale, les loups seront donc plus enclin à appeler et/ou répondre à d’autres loups étrangers afin d’essayer de sortir de cette période temporaire de solitude qui est aussi une période critique (en effet elle correspond à une phase de dispersion, une période d’errance et de recherche, qui les expose à de nombreux risques, à commencer par des conflits avec les individus dominants des territoires qu’ils sont amenés à traverser.
2. A l’automne les hurlements de la meute sont fréquents
En automne, les jeunes loups âgés alors d’au moins six mois sont désormais capables d’accompagner les adultes dans leurs déplacements. Les loups peuvent redevenir « nomades » en délaissant les habitudes sédentaires auxquelles les avait contraint le nourrissage des jeunes à la tanière et sur les sites de rendez vous.
Ceci semble effectivement être observé sur le terrain par Mickaël. Déjà averti d’une modification des déplacements des loups depuis le début du mois d’octobre « Depuis quelques jours je constate régulièrement de nouvelles pistes aux alentours de la décharge » (Jeudi 7 Octobre), il observe le 11 octobre 2004 « Tandis que je poursuis mon inspection, un jeune loup au pelage brun me passe devant à 70 mètres. S’arrêtant en plein milieu du sentier, il me fixe un instant avant de s’en retourner vivement non sans avoir effectué quelques déplacements assez enlevés, tel un chiot qui souhaiterait jouer (…) Jappeur à seulement trois mètres de moi traverse le sentier, au trot et la queue entre les pattes ».
Il est très probable que Mickaël vient d’assister au déplacement d’un adulte avec son jeune de l’année.
Cette période de « nomadisme » qui ne prendra fin que lorsque la saison des amours recommencera (en Janvier) est caractérisée par un regain de vocalisation entre les membres de la meute, et dont les significations sont bien différentes de celles émises durant la période hivernale d’accouplement, ou d’élevage des jeunes dans la tanière. Elles servent essentiellement de moyen de communication entre les différents membres de la meute ; en effet les hurlements peuvent être émis afin de :
→ Regrouper les différents membres du groupe qui se sont séparés en prospectant.
Mickaël ici nous rapporte un très bel exemple de communication entre les individus de la meute « En suivant se piste, je remarque qu’il y a déjà eu trois passages à cet endroit et que le bois a du être le lieu de quelques actions de prédation, certainement des chasses aux écureuils. De retour de la décharge, je suis alors surpris par une vocalise aiguë courte et régulière en provenance de l’ancien dépotoir tout proche a laquelle répond une seconde, assez aiguë aussi, située plus à ma droite à moins de deux kilomètres. Encore plus à ma droite, une troisième voix s’élève avec la même tonalité, et trouve un écho grave émis avec refrain et aussitôt soutenu par une quatrième vocalise. Un hurlement en provenance de mon camp n°2 clôture le concert.
Puis le loup qui en premier avait initié l’appel, recommence et cette fois ci c’est un autre de ses congénères plus au sud qui lui répond. Six loups en tout à des endroits différents m’entourent ! Bientôt le même loup que les deux fois précédentes renouvelle encore en premier son appel mais cette fois ci de l’ancien dépotoir où il s’est déplacé entre temps. Son chant plus long est repris par celui complet du loup à la voix grave et qu’accompagne aussitôt son compagnon qui est avec lui. Leur duo dure au moins une minute avant que trois autres vocalises ne s’y joignent. Tandis que je redescends de la butte en direction de l’ancien dépotoir, je ne tarde pas à observer les effets de ces hurlements : deux loups chacun leur tour venant de deux endroits distincts vont filer devant moi vers une même destination, qui coïncide avec l’endroit d’où s’est élevé les vocalises graves et émise en duo avec une autre moins soutenue. Je pense que la meute a du se regrouper autour du couple et qu’elle est ensuite partie en chasse, car malgré mes affûts dans les environs je ne détectai plus de présence ni de mouvement » (Mardi 19 octobre 2004)
Chacun leur tour en des endroits différents où les ont conduits leurs pérégrinations individuelles, les loups se manifestent et répondent aux doubles vocalises du couple dominant que domine le son grave du mâle ; puis après avoir répondu à l’appel, ils convergent tous vers ces derniers. Le hurlement permet ici aux membres qui se sont quelque peu éloignés les uns des autres en vaquant à leurs occupations, de maintenir malgré tout la cohésion du groupe, et leur donner la possibilité de se rassembler rapidement. Il est à préciser que généralement ce sont les individus dominants qui détiennent le contrôle des hurlements. Non seulement ils les initient mais ils suscitent auprès des membres de leur meute une réponse quasi immédiate et spontanée.
→ Initier un départ commun
→ Faire acte de territorialité, et d’affirmation de sa présence par rapport aux autres meutes
On retrouve encore une fois le rôle influant déterminant des dominants dans le contrôle des hurlements initiés dans ces optiques de supériorités et d’affirmations. Ceci est indéniablement en rapport avec le taux de glucocorticoïdes important trouvés chez les sujets dominants, qui manifestent le plus d’agressivité.
→ Accéder aux ressources alimentaires essentielles au succès de la reproduction (ainsi qu’en faciliter ou conserver l’accès)
En effet le succès de reproduction est fortement dépendant de la qualité et quantité de nourriture dont les jeunes vont pouvoir bénéficier. C’est d’ailleurs dans l’optique d’améliorer ce succès qu’ils restent avec leurs parents et autres adultes après six mois afin de bénéficier, et d’un apprentissage poussé en matière de chasse, et d’une alimentation meilleure que seuls ils n’auraient pas su et pas pu se fournir.
Cette période où les jeunes sont en déplacement avec leurs parents (dès le mois d’octobre, quand ils ont six mois) est donc cruciale car elle détermine les aptitudes des jeunes à survivre à la rigueur du premier hiver qui est généralement le plus dur ainsi que leurs aptitudes futures à survivre seuls et assurer la survie de leur propre unité familiale.
→ Témoigner de la cohésion sociale du groupe
Lorsque les individus d’une meute, qui ont été un temps séparés, se retrouvent, ils s’adonnent à des cérémonies de retrouvailles centrées sur le mâle dominant qui s’achèvent très souvent par un hurlement (pouvant être initié par le dominant mais aussi le mâle bêta ou un loup de haut rang) et auquel prend part instantanément et joyeusement l’ensemble des membres, en signe d’appartenance et d’union.
3. Les loups hurlent plus en période estivale qu’hivernale mais répondent moins.
Par ailleurs on remarque qu’à cette période (fin de l’été et automne pour notre étude), la communication est essentiellement entre les membres de la meute ; aussi les appels de Mickaël restent ils sans réponse.
Voici un bel exemple du triste monologue de Mickaël parmi le dialogue lupin (c’était le Lundi 11 0ctobre 2004) : « Je n’ai pas parcouru un kilomètre qu’un loup pousse un hurlement depuis les marécages à 500 mètres de moi. Cette zone est régulièrement empruntée par les loups pour passer la route de la Baie James. Tandis que je tente de me rapprocher de l’endroit et pénètre dans le marécage, il s’arrête de hurler….J’abandonne la partie et m’en retourne à mon poste d’affût au dépotoir. Je ne suis plus qu’à 500 mètres de mon objectif qu’un loup lance un hurlement court et régulier identique au précédent bien que la tonalité soit plus aiguë. Mes tentatives d’approche du lieu d’où il vient d’être émis, les buttes, échouent de la même façon que tout à l’heure dans les marécages. De même je lance des appels sans obtenir le son même infime….d’une réponse. »
On comprend facilement avec les explications précédentes des rôles des hurlements à cette période pourquoi les loups ne répondent pas à Mickaël : essentiellement centrés sur leur groupe, ils ne sont sollicités et enclin à ne répondre qu’à ceux de leur groupe, à moins qu’une affirmation de territorialité nécessaire, un danger imminent ou une provocation ne les incitent à hurler. Des études menées dans le Minnesota ont montré que les mâles dominants répondent ainsi le plus souvent dans ces cas là ; certainement en rapport avec leur agressivité exacerbée (rappelons qu’une autre étude récente (2002) vient de prouver que ce sont les dominants qui présentent des taux de glucocorticoïdes les plus élevés parmi les membres de la meute et que ceci est en relation avec leurs comportements agressifs plus développés). Par ailleurs la taille de la meute influence les taux de réponse et d’agressivité de ces dernières : plus la meute est grande et plus le taux de réponse est grand et la réponse agressive.
Par ailleurs, il faut aussi préciser que chaque individu possède une probabilité de déclencher chez les autres membres une réponse, comme une probabilité de répondre. Aussi en fonction de l’identité de celui qui émet un hurlement, de celui qui le reçoit, mais aussi comme on vient de le voir de la période, une ou plusieurs réponses pourront se faire entendre. On comprend donc aisément pourquoi les appels de Mickaël restent sans réponse : ni perçus comme un danger ni reconnus comme émanant d’un membre « important » du groupe, ses appels sont tout simplement ignorés…sauf une fois….le 6 Août 2004 « Si mon premier appel au loup reçoit une réponse faible bien que proche, mon second déclenche deux hurlements distincts, bien que peu conformes à un hurlement standard comme on s’y attend, accompagné d’un troisième, guttural et structuré, qui se prolonge une vingtaine de secondes, sur fond des deux premiers comme ils le peuvent. Selon moi distant de trois kilomètres tout au plus, un adulte et deux louveteaux. Les hurlements s’étant tus j’attends quelques secondes avant de lancer une troisième vocalise qui trouve échos dans deux hurlements plaintifs et aigus ! Les louveteaux pendant quelques secondes m’ont répondu ! » ; La tendance des louveteaux a répondre facilement aux appels est bien connue des gestionnaires qui l’utilisent pour les suivis de populations lupines et la détermination des succès de leurs reproductions. En effet les louveteaux s’ils se joignent aux hurlements de leur meute dès le 27 ème jour sont capables dès leur 22 ème jour d’hurler seuls.
4. En période d’éducation des louveteaux, lorsqu’ils sont à la tanière et sur les sites de rendez vous (donc jusqu’au mois de juillet au plus tard), la meute aurait tendance à se taire.
Il semblerait en effet qu’en cette période assez vulnérable, les loups préfèrent ne pas trop « provoquer » réservant leurs hurlements en cas de danger pour défendre leurs jeunes dans la tanière et les sites de rendez.vous. Le hurlement dans ce cas a très certainement une fonction de stimulation et d’excitation qui rassemble et dynamise l’ensemble des membres du groupe en même temps que fait acte d’avertissement et d’impression face au représentant du danger.
L.D Mech (2000) relate le cas d’une femelle qui après avoir laissé dans un premier temps son mâle et les autres membres de la meute tenter de forcer un bœuf musqué à quitter les environs immédiats de sa tanière, s’est soudainement mise à grogner puis hurler, afin d’attirer l’attention de ses congénères et les inciter à la suivre ; ce qu’ils firent tandis qu’elle continuait à hurler ; elle leur fit effectuer un mouvement de regroupement en un point précis de la zone à défendre. Et en les laissant là fit face au bœuf musqué, déterminée.
Pourtant : Il est avancé dans la littérature que les taux de réponse sont normalement élevés pendant l’élevage des jeunes (dans leur première partie) en relation avec la nécessité d’acquérir de la nourriture pour garantir un bon succès de reproduction. (Le hurlement servant à défendre la nourriture). Or notre étude a seulement mis en évidence cette caractéristique pour la seconde partie de l’élevage quand les jeunes suivent leurs parents. Un approfondissement en 2005 de cette période (Avril, Mai, Juin) à ce sujet serait donc nécessaire pour compléter nos résultats.
Pour finir
Les loups sont aussi capables d’émettre d’autres sons tels que des grognements, des aboiements et des geintes. Souvenons nous de cette femelle de L.D Mech qui face au bœuf musqué grogne dans un premier temps. Les aboiements et grognements servent aux loups à indiquer à un étranger qu’il est trop près de ce qui sur le moment revêt de l’importance pour eux : la tanière, une carcasse…
Entre eux, les loups peuvent grogner, par exemple quand ils entrent en « compétition » pour de la nourriture, ou pour manifester leur supériorité. Les loups peuvent aussi aboyer très brièvement « Wouff » (selon J.M Landry qui aurait eu l’occasion de l’entendre un soir à Wolf Parc) en signe d’alarme d’un danger.
Article écrit initialement par Sophie Gonneau en 2004